Avis du conseil scientifique français du 23 mars 2020
Le nouvel avis des 13 membres du conseil scientifique français a été rendu public mardi 24 mars. Il est utile de rappeler que ce groupe n’a pas vocation à mener lui-même des recherches, ou à publier des informations inconnues jusqu’alors, mais plutôt à tirer les enseignements du contexte national et de l'état de la connaissance médicale pour formuler des recommandations.
Recommandations sur le confinement
Le rapport débute par une déclaration claire sur le fait qu’une stratégie de fin de confinement, de dépistage à grande échelle et d’isolement des cas détectés, telle qu'appliquée en Chine et en Corée du Sud, ne semble « pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale ». Une telle stratégie nécessiterait effectivement des tests autrement plus nombreux que ceux réalisés jusqu’ici en France.
En soulignant l’incertitude vis-à-vis de la situation sanitaire, le conseil scientifique recommande un confinement d’une durée totale d’au moins 6 semaines (soit jusqu'au 28 avril) et que les mesures soient maintenues jusqu'à la fin de la saturation des services hospitaliers et le choix d'une stratégie viable pour gérer l'épidémie à long terme. Le confinement devrait aussi être « plus strictement mis en œuvre », afin de contribuer à aplatir la courbe de l’épidémie pour limiter la surcharge du système de santé. Dans un contexte où le gouvernement français est critiqué sur plusieurs fronts pour sa gestion de l’épidémie, il semble peu probable que ses décisions aillent à l’encontre de ces recommandations.
Il faut bien noter que les mesures prises mi-mars ne montreront leurs effets qu’environ 2 à 3 semaines après leur application. En effet, les personnes déjà infectées au début du confinement le 17 mars auront connu une période d’incubation d’environ 5-6 jours en moyenne (mais pouvant aller jusqu’à 14 jours), puis une période symptomatique pouvant aller jusqu’à une dizaine de jours avant d’éventuelles complications menant à l’hospitalisation. Pour ce qui est des décès, le délai sera encore plus long puisque le temps total entre l’apparition des symptômes et le décès peut aller de 2 à 8 semaines.
Pour juger correctement ces évolutions, le conseil scientifique demande au gouvernement de faire preuve d’une « entière transparence et de plus de clarté ». Il souligne aussi l’importance de recueillir des données fiables sur tout le territoire. Plusieurs articles (1, 2, 3) sur de nombreux décès dans certains EHPAD ont été publiés ces derniers jours ; des décès pas nécessairement comptés dans les statistiques officielles pour l’instant, puisque ayant eu lieu hors du système hospitalier.
Recommandations sur les systèmes de santé
Les membres du conseil semblent ne pas vouloir éviter la question de la pénurie des équipements de protection, mais précisent que cette pénurie peut être « réelle ou ressentie ». Ils notent qu’aucune rupture de stock n’est à constater pour l’instant selon les remontées des hôpitaux ; mais certains établissements anticiperaient une rupture et se mettraient dès lors à économiser, en prenant donc davantage de risques. Cette remarque sur la non-rupture de stock ne semble toutefois concerner que les hôpitaux. Les auteurs de l’avis évoquent les nombreux autres personnels dont les responsabilités nécessiteraient le port de gants et masques (facteurs, personnels des supermarchés, police et gendarmerie, etc.), mais qui ont jusqu’ici continué à travailler sans protection au contact direct de nombreuses personnes.
Une partie de l’avis est aussi consacrée à l’accompagnement médical au-delà de la gestion directe des malades du COVID-19. Les membres se disent préoccupés de l’évolution de la santé psychique des personnels soignants, y compris non hospitaliers (cabinets généralistes, pharmacies, EHPAD), mais aussi des personnes vulnérables, âgées, ou vivant seules, pour qui un confinement prolongé peut représenter une réalité très différente de celle de personnes vivant en famille, en couple, ou en colocation. À ce sujet, il est recommandé que l’application du confinement à domicile se fasse de façon juste et équitable, en tenant compte par exemple des personnes vivant dans des conditions sanitaires ou financières ne permettant pas un confinement absolu à domicile.
Enfin, les auteurs rappellent que la situation sanitaire complexe ne doit pas mener à négliger le traitement des pathologies chroniques dont souffrent de nombreux patients (et qui tuent, chaque année, entre 390 000 et 430 000 personnes en France). Les mesures prises par le gouvernement doivent donc leur permettre de continuer à être reçus en cabinet de médecine générale, et ce sans risquer une contamination.
Article original
Avis du Conseil scientifique, 23 mars 2020
Auteurs
Jean-François Delfraissy, Laetitia Atlani Duault, Daniel Benamouzig, Lila Bouadma, Simon Cauchemez, Franck Chauvin, Pierre-Louis Druais, Arnaud Fontanet, Bruno Lina, Denis Malvy, Yazdan Yazdanapanah