La Chine, entre l'envie d'un retour à la normale et la crainte d'une seconde vague
Depuis janvier, le nombre total de décès dus au COVID-19 en Chine a suivi une courbe sigmoïde typique des épidémies : un démarrage lent, puis une explosion exponentielle, suivie d’un ralentissement, et enfin d’un plateau. Depuis le 19 mars, le pays a systématiquement annoncé moins de 10 décès par jour sur son territoire.
Mais il a aussi annoncé ce matin le premier cas de transmission local détecté après trois jours de calme plat, venant tempérer ces espoirs qui ont naturellement tendance à nous saisir par les temps qui courent. Il est extrêmement difficile de totalement éradiquer un virus comme le SARS-CoV-2 d’un territoire, en particulier dans un pays aussi immense que la Chine. Affirmer que le virus a totalement disparu d’une population de 1,4 milliard de personnes, dans une configuration où le nombre de cas asymptomatiques est élevé et la période d’incubation dépasse parfois les 8 jours, semblerait pour l’instant très optimiste.
Pourtant, sur la base du « plateau » qu’a atteint la courbe, le gouvernement chinois a commencé à ré-autoriser les entrées et sorties de la province du Hubei. Plus généralement, la question du retour à la normale se pose, là-bas comme elle se posera bientôt en Europe : la vie peut-elle reprendre son cours ? Faut-il relâcher les mesures de confinement ? Si oui, quand et comment ? Une équipe de recherche de la London School of Hygiene & Tropical Medicine a tenté de répondre à ces questions en modélisant les effets d’un retour à la normale en Chine à moyen terme.
Les chercheurs ont utilisé un modèle qui compartimente la population en différents groupes (susceptibles, exposés, infectieux, et immunisés) et simule les propagations possibles du virus, tout en tenant compte des dynamiques différentes selon l’âge des individus. La simulation part de l’hypothèse d’un retour au travail de la population chinoise échelonné sur quatre semaines, et une réouverture des écoles au bout de la quatrième semaine. Ce type de modélisation est proche de celui utilisé mi-mars par Neil Ferguson et son équipe pour réaliser des projections aux États-Unis et au Royaume-Uni. La différence principale est que les données chinoises nous donnent davantage de recul sur les conséquences réelles des mesures de confinement, de fermeture des écoles et entreprises, de distanciation sociale, etc.
Ce type d’exercice a toutefois de nombreuses limites, parmi lesquelles l’imprécision de certains paramètres (nombre de réinfections en Chine par des personnes venues de l’étranger, taux de reproduction de base « R0 », niveau de contagion des enfants, etc.). Ces projections ne peuvent donc pas être lues comme des prédictions exactes. Mais le principal enseignement concerne plutôt l’enjeu du retardement de la fin de confinement : plus le retour à la normale se fait tard, plus une éventuelle seconde vague épidémique est retardée — mais de façon non linéaire. Concrètement, selon ces projections :
un relâchement des mesures fin mars pourrait conduire à un retour du virus en Chine dès le mois de juin, avec un pic en août 2020 ;
un relâchement un mois plus tard, fin avril, décalerait la seconde vague de deux mois, soit un pic en octobre 2020.
Dans un contexte où les pistes de traitements pour le COVID-19 sont loin d’avoir fait leurs preuves, et un vaccin pourrait mettre plus d’un an à être développé, ces gains de temps pourraient se révéler précieux, que ce soit en Chine ou ailleurs. Deux mois supplémentaires constituent un répit, mais aussi et surtout une période cruciale pendant laquelle les systèmes de santé peuvent travailler à étendre leurs capacités d’accueil et de traitement, fabriquer davantage de respirateurs, généraliser la distribution de masques, systématiser les tests d’infection et/ou d’immunité, etc. Mais le choix de retarder ce retour à la normale devra nécessairement être mis en regard des lourds effets économiques et sociaux d’un confinement prolongé à travers le monde (à ce sujet, voir ce policy brief de l’OCDE : Supporting people and companies to deal with the Covid-19 virus).
Article original
Kiesha Prem, Yang Liu, Timothy W Russell, Adam J Kucharski, Rosalind M Eggo, Nicholas Davies, Centre for the Mathematical Modelling of Infectious Diseases COVID-19 Working Group, Mark Jit, Petra Klepac, The effect of control strategies to reduce social mixing on outcomes of the COVID-19 epidemic in Wuhan, China: a modelling study